Riche en nutriments, l’urine représente une intéressante source de fertilisants renouvelables et à faible impact énergétique. Des chercheurs d’Irstea, spécialistes de la réutilisation des eaux usées pour l’agriculture, collaborent avec la société Ecosec pour mieux évaluer les bénéfices et les risques de l’utilisation de l’urine comme engrais, et poser les bases scientifiques de cette filière peu exploitée à ce jour.
L’urine contient une importante quantité d’azote : 80 % de l’azote totale que nous rejetons en tant qu’être humain. Cet élément minéral, plus précisément son élimination, constitue l’un des plus importants postes de dépense énergétique des stations d’épuration qui traitent nos eaux usées. C’est devant ce constat, et en lien avec des scientifiques de l’unité G-EAU d’Irstea, que l’équipe d’Ecosec, spécialisée dans la conception de toilettes séparatives, a eu l’idée de valoriser l’urine collectée via ses toilettes en l’utilisant comme fertilisant. « En sachant que récupérer entièrement l’azote des effluents d’origine humaine permettrait d’assurer 30 % des besoins mondiaux en fertilisation azotée1 et que, par ailleurs, fabriquer une tonne d’engrais coûte actuellement une tonne équivalent pétrole, l’idée de récupérer l’azote directement à la source, c’est-à-dire à la sortie des toilettes séparatives et des logements qui pourraient en être équipés, apparaît comme une voie des plus évidentes et pertinentes », explique Bruno Molle, chercheur de l’unité G-EAU.
Un concept prometteur qui nécessite de poursuivre les investigations
Restait à vérifier la faisabilité de l’approche et à évaluer son efficacité du point de vue sanitaire et agronomique. Pour cela, les chercheurs d’Irstea et Ecosec ont mené deux expérimentations2 :
- la première visant à évaluer et réduire au maximum le risque de contamination ; l’urine est naturellement stérile et donc exempte de pathogène, mais le système de toilettes séparatives conçu par Ecosec comprend une phase de contact entre l’urine et les matières fécales qui peut générer une contamination bactérienne.
- la seconde visant à évaluer la valeur fertilisante de l’urine et la capacité du sol à transférer les nutriments de l’urine vers les plantes.
À l’issue de l’étude, les partenaires ont confirmé l’intérêt du concept. Ils ont mis en évidence les conditions permettant d’éliminer la majeure partie des agents pathogènes, soit un stockage des effluents pendant six mois à température ambiante. Les résultats sont par ailleurs positifs tant en termes d’assimilation de l’engrais par le sol et les plantes qu’en termes de rendement des salades ainsi fertilisées.
Fort de ces résultats encourageants, une nouvelle expérimentation vient d’être lancée sur un domaine viticole conduit en agriculture biologique près de Montpellier. Son but : utiliser différents produits à base d’urine (urine brute, urine précipitée) pour fertiliser les vignes et comparer leurs impacts sanitaires et agronomiques par rapport à la fertilisation classique. L’enjeu est d’étudier plus finement la vitesse d’élimination des pathogènes en fonction du temps de stockage des effluents, de comparer le développement des vignes selon le fertilisant utilisé, mais aussi d’analyser le transfert de certains micropolluants (résidus pharmaceutiques notamment). Les résultats sont attendus fin 2019 et l’expérience devrait être conduite jusqu’à la vinification des raisins…
Un concept envisageable à l’échelle d’une ville ?
Pour évaluer la pertinence de ce concept dans une boucle plus globale de valorisation et d’économie circulaire, les chercheurs d’Irstea se sont associés au projet international Enlarge3. Financé dans le cadre de l’appel à projets Sustainable Urbanisation Global Initiative (SUGI) du Belmont Forum4, ce projet vise à produire un outil d’aide à la décision en analysant, à l’échelle d’une ville, les boucles de production, de stockage, d’acheminement et de consommation des principales ressources : eau, nutriments, énergie. « Concrètement, il s’agit pour nous de mettre en équation d’un côté la quantité d’urine potentiellement récupérable dans l’hypothèse d’une séparation à la source, via le concept de toilettes séparatives, et de l’autre côté les besoins en eau des plantes présentes en ville et en périphérie, telles que les espaces verts et les zones d’agriculture périurbaine. Notre but in fine est d’évaluer les conditions dans lesquelles cette boucle collecte/réutilisation peut s’inscrire efficacement dans une logique d’économie circulaire à l’échelle de la ville », conclut Bruno Molle.
Source : Irstea