L’Inra livre le 13 juin 2019 une étude, réalisée à la demande de l’Ademe et du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture, sur le potentiel de stockage de carbone dans les sols en France. En mobilisant une méthodologie originale, l’étude a pu évaluer ce potentiel et en estimer le coût de mise en œuvre région par région, au regard d’un objectif de 4 pour 1000. L’initiative « 4 pour 1000 sur les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » avait été lancée lors de la conférence des parties sur le changement climatique organisée à Paris en 2015.
Pourquoi stocker plus de carbone dans nos sols ? Dans un contexte d’urgence climatique, le cap de 4 ‰, fixé pour neutraliser l’augmentation annuelle du carbone atmosphérique vient compléter l’objectif principal qui reste de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les sols qui contiennent le plus de carbone c’est-à-dire de matière organique, sont les plus fertiles. L’initiative est ainsi favorable à l’environnement comme à l’agriculture et à la sécurité alimentaire mondiale.
Comment faire pour augmenter ce stock en France ? L’étude menée par l’Inra a tout d’abord identifié, les pratiques agricoles et forestières favorables au stockage du carbone dans les sols, qui sont compatibles avec l’agroécologie. C’est en faisant appel à de la modélisation agronomique et économique que l’effet de ces pratiques sur l’évolution du stock a été simulé sur 30 ans. Une méthodologie originale a été déployée, avec des estimations km² par km² pour évaluer le stockage additionnel apporté par chaque nouvelle pratique par rapport à l’évolution du stock si on ne changeait rien.
Ces nouvelles connaissances ont pour vocation d’éclairer les politiques publiques et ont été restituées et discutées lors d’un colloque le 13 juin 2019. Elles montrent l’importance de politiques publiques pour favoriser le maintien des prairies permanentes, des zones humides et des forêts, où les sols ont généralement des stocks de carbone élevé, ainsi que pour stopper l’artificialisation des sols. Elles complètent celles visant l’augmentation des stocks de carbone là où ils sont faibles, c’est-à-dire essentiellement en zone de grandes cultures. En mettant en œuvre ces deux objectifs complémentaires sur l’ensemble du territoire national, il serait possible d’atteindre une croissance des stocks de carbone des sols métropolitains d’un niveau proche de 4 ‰ par an. Ce calcul étant fait sous réserve de réduire l’incertitude actuelle sur l’évolution tendancielle des stocks. Outre la réorientation des politiques publiques et des financements associés au bénéfice de systèmes durables, favorables à la préservation et au stockage du carbone dans les sols, une forte évolution des stratégies de l’ensemble des acteurs des filières agricoles et forestières, en lien avec les territoires, sera nécessaire.
Forêts, prairies, grandes cultures : des stocks contrastés
La valeur du stock initial de carbone présent dans les sols est issue de données produites par le GIS Sol, par maille de 1 km² sur l’ensemble du territoire métropolitain. La carte montre ainsi une situation de départ contrastée du fait de l’occupation des sols mais aussi du type de sol et du climat.
À l’échelle de la France, les sols forestiers représentent 38 % du stock total, fortement liée à l’histoire de l’occupation de sols, avec une tendance à la hausse des stocks. Les prairies permanentes totalisent un stock élevé (22 %) stable ou avec une tendance à un léger stockage. En raison de l’étendue de leurs surfaces, les prairies temporaires et les grandes cultures contribuent à 26,5 % du stock total, avec une tendance à la baisse.
Préserver et entretenir les stocks élevés des forêts et prairies
Les stocks fluctuent selon les entrées de carbone (litières, produits résiduaires organiques…), les bio-transformations et la durée de stabilisation dans le sol, ainsi que les flux sortant, principalement dus à la respiration des organismes décomposeurs. L’estimation de ces variations est très sensible aux hypothèses de calcul mais le réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) produira dès 2020 de nouvelles mesures pour réduire ces incertitudes. Sans changement d’usage des sols, et sans modifier les pratiques agricoles et forestières, l’évolution des stocks de carbone des sols est actuellement estimée, tous modes d’occupation du sol confondus, à 2,3 ‰ par an avec une forte incertitude (-0,2 ‰ à +3,2 ‰ par an). Cette augmentation est cependant en partie contrecarrée par des changements d’usage des sols qui déstockent le carbone : artificialisation des sols et retournement des prairies). C’est pourquoi, des politiques publiques favorables au maintien des prairies permanentes et des forêts et stoppant l’artificialisation des sols seraient nécessaires pour atteindre l’objectif du 4 ‰.
Un stockage additionnel possible en grandes cultures et prairies temporaires
Pour les forêts, aucune pratique agricole plus « stockante » qu’actuellement n’a pu être identifiée : l’enjeu est donc de maintenir le stock existant et les pratiques permettant de l’entretenir. En prairies permanentes, deux pratiques permettraient d’atteindre, pour un coût modéré, un stockage additionnel de l’ordre de 12 % du potentiel de la France. Cela peut passer par une intensification modérée par apport de fertilisant ou bien par une extension du pâturage plutôt que la fauche, ce qui favorise le retour au sol de résidus et déjections.
un stockage additionnel potentiel de + 1,9 ‰ sur l’ensemble du territoire
C’est en grandes cultures – où le stock actuel est le plus faible – que réside le plus fort potentiel de stockage additionnel – 86 % du total, grâce à 5 pratiques:
- Mise en place de couverts intercalaires et intermédiaires. Appliquée à tout le territoire, cette pratique représenterait 35 % du potentiel total pour un coût modéré ;
- Introduction et allongement des prairies temporaires dans les rotations culturales, 13 % du potentiel total, avec un coût élevé ;
- Développement de l’agroforesterie, 19 % du potentiel total, avec un coût élevé ;
- Apport de composts ou produits résiduaires organiques, pour un coût négatif (léger gain pour l’agriculteur) ;
- Plantation de haies, avec un coût élevé.
Une 6e pratique, le passage au semis direct, a été étudiée. Elle augmente le stockage additionnel dans l’horizon de surface, mais cet effet n’est plus perceptible lorsqu’on considère la totalité du profil du sol. Son coût n’a donc pas été évalué.
Dans les vignobles, l’enherbement inter-rang, permanent ou hivernal, a un potentiel significatif pour un coût faible ou négatif. Concernant peu de surfaces, sa contribution au potentiel total de la métropole resterait faible.
déployer les bonnes pratiques aux bons endroits
L’étude a aussi mis en évidence que les potentiels de stockage additionnel, les assiettes de mise en œuvre et les coûts varient selon les pratiques mais aussi d’une région à l’autre. La solution la plus efficace est donc une combinaison de « bonnes pratiques aux bons endroits » (cf encadré 1 pour plus de détails par régions). Ailleurs, il reste indispensable d’entretenir et protéger les stocks existants, avec les pratiques adaptées, et de ne pas déstocker : stopper le retournement de prairies et l’artificialisation des terres.
Au total, le stockage additionnel pourrait atteindre, au maximum, + 1,9 ‰ sur l’ensemble des surfaces agricoles et forestières (mais 3,3 ‰ pour les seules surfaces agricoles et 5,2 ‰ si l’on se restreint aux grandes cultures), soit 41 % des émissions de carbone agricoles. Aller au-delà demande des recherches nouvelles afin de pouvoir lever d’autres verrous et préciser les estimations. Il s’agit de modéliser à échelle spatiale fine et utiliser des données massives sur les climats, sols et systèmes agricoles, de prendre en compte dans les calculs économiques les co-bénéfices apportés par certaines pratiques comme les cultures intermédiaires qui améliorent aussi la qualité de l’eau ou l’agroforesterie, et d’explorer de façon approfondie les intérêts et limites de la valorisation de composts et produits résiduaires organiques. Il serait également nécessaire d’étendre l’étude à tous les gaz à effet de serre, en prenant en compte le N2O lié à l’usage d’engrais de synthèse et le méthane lié à l’élevage, de prendre en compte différents scénarios de changement climatique dans les calculs et d’élaborer des scénarios de systèmes de production agricoles alternatifs.
L’ÉTUDE
Cette étude a été conduite par la Délégation à l’expertise scientifique collective, à la prospective et aux études (DEPE) de l’Inra. Elle a mobilisé 40 experts agronomes, économistes, modélisateurs et chargés d’étude. Elle s’appuie sur le cadre méthodologique de l’expertise scientifique collective et sur des travaux de simulation.
Les simulations ont été réalisées avec le modèle Inra STICS en grandes cultures, et le modèle PaSim en prairie permanente. Ces modèles intègrent une représentation explicite du cycle du carbone dans le système sol-plante-(animal) et rendent compte de l’effet des multiples facteurs pédoclimatiques et des pratiques qui conditionnent l’évolution des stocks de carbone et d’autres variables de sortie intéressantes (rendement, lixiviation d’azote, émissions de N2O…). Plusieurs bases de données nationales sur les sols, les climats, les pratiques agricoles ont été mobilisées pour renseigner ces modèles. Les simulations ont été faites sur l’horizon de sol 0-30 cm, et sur les résultats agrégés finaux, des calculs de stockage sur toute la profondeur de sol ont cependant été réalisés car c’est ce qui est le plus adapté en termes d’atténuation du changement climatique. Le modèle BANCO, combinant simulations agronomiques et calcul de coûts, a été utilisé pour optimiser l’effort de stockage à mettre en œuvre.
UNE APPROCHE RÉGIONALE
La carte du stock de carbone actuel dans les sols de France – publiée plus haut – montre que les stocks les plus importants correspondent aux sols de prairies et de forêts. Ils sont beaucoup plus faibles dans les zones de grandes cultures, ce qui explique pourquoi c’est dans ces zones que la mise en place de pratiques visant à stocker plus de carbone sont les plus efficaces.
L’étude a simulé pour chacune des 22 anciennes régions administratives françaises quelles pratiques pourraient être mises en œuvre et à quel coût pour augmenter ce stockage. L’un des enseignements est que la mise en œuvre de cultures intermédiaires – soit en allongeant dans le temps les couverts déjà en place, soit en augmentant leur fréquence dans la rotation des cultures – pourrait être mises en œuvre dans la quasi-totalité des zones de grandes cultures en France. Le gain de stockage de carbone ainsi obtenu serait de + 2,3 p mille par an en moyenne. Les coûts de mise en place varient selon les régions, avec une moyenne nationale de 39 €/ha/an. Le stockage additionnel obtenu par ce moyen serait le plus élevé dans le Bassin parisien et en Poitou-Charente, grâce à l’ajout de cultures intermédiaires en interculture d’été. Le coût y serait par ailleurs plus faible que la moyenne nationale.