Philippe Hauprich : « Il faut s’adapter aux conditions de l’année et ne pas vouloir garder coûte que coûte un couvert de légumineuses s’il pénalise la culture ».
Pour Philippe Hauprich, ingénieur régional Arvalis en Champagne, qui gère un essai de couvert semi-permanent de trèfle blanc, des références sont encore à acquérir avant de pouvoir diffuser plus largement cette pratique d’intérêt agroécologique.
Perspectives Agricoles : Pourquoi étudier les couverts semi-permanents de légumineuses ?
Philippe Hauprich : En Champagne-crayeuse plus de la moitié du potentiel de rendement du blé est lié à la disponibilité en azote, du fait d’une faible minéralisation naturelle du sol pendant le cycle des céréales d’hiver. L’optimisation des apports d’azote peut se faire en utilisant des outils de pilotage, des produits organiques, des légumineuses dans les rotations ou en mélange dans les couverts intermédiaires. Ces couverts sont efficaces mais leur réussite n’est jamais garantie à 100 %. Il faut donc aller plus loin. Un essai, débuté en 2016 pour une durée minimale de dix ans à Poix dans la Marne, s’attache ainsi à mesurer les effets de couverts semi-permanents, en vue de créer des références solides. L’essai consiste à semer un trèfle et à le détruire à différents moments dans une rotation colza-blé-orge de printemps-betterave-blé. Cet essai est conduit par l’Association Régionale pour l’Etude des Productions végétales (AREP) qui regroupe des instituts techniques, des coopératives, des négoces, des chambres d’Agriculture et des industriels du secteur betteravier.
P. A. : Quels sont les résultats obtenus à l’issue des trois premières campagnes ?
P. H. : La première récolte de colza a été réalisée en 2016, l’enjeu était que la présence du couvert ne la pénalise pas. Il a toutefois été nécessaire de ressemer le trèfle au printemps, le semis d’été n’ayant pas levé à cause des restes de paille du précédent. Les graines de trèfle exigent de la terre fine, un semis peu profond et bien rappuyé. Après le semis direct du blé, le point clé est la régulation du couvert. Des essais d’Arvalis et de ses partenaires ont évalué les différents herbicides pouvant être utilisés à cette fin(1). Il s’agit prioritairement de favoriser la culture, quitte à abandonner le couvert en cas d’échec de sa régulation et/ou de conditions climatiques limitantes. Ainsi en 2017, le trèfle, qu’il ait été détruit ou régulé, a pénalisé le blé. En revanche, en 2018, un arrière-effet a été constaté en orge de printemps, sur les parcelles où le trèfle avait été détruit dans le blé, avec un gain de 4 q/ha et de 0,4 point de protéines. Les modalités avec un trèfle régulé dans le blé précédent puis détruit avant le semis d’orge ont été bien plus bénéfiques pour cette dernière qui a enregistré un gain de 11 q/ha. La dose optimale d’azote a posteriori été réduite d’environ 30 kgN/ha et les teneurs en protéines respectaient les normes brassicoles. Les modalités ayant conservé un trèfle vivant jusqu’à la fin de la montaison de l’orge n’ont pas eu d’effet significatif.
P. A. : Quels enseignements peut-on retirer de cette pratique ?
P. H. : Pour obtenir un effet azote sur les cultures principales, il faut détruire ou réguler très fortement le couvert. Si l’objectif est de conserver le couvert en le régulant, il faut qu’il soit très peu développé à la floraison du blé – moins d’1 tMS/ha – et détruit au moment du semis de l’orge de printemps. Un couvert semi-permanent implique une gestion « pointue » des interventions, le processus de minéralisation restant moins maîtrisable que des apports d’engrais. Les résultats des années à venir apporteront d’autres informations, notamment sur les éventuels risques de transfert d’azote dans l’eau. Les effets des couverts sur la faune microbiologique et la structure du sol seront également mesurés. Les évolutions réglementaires sont aussi à suivre : si le glyphosate est interdit, cela pourrait remettre en cause ce type de pratique.